Récit de Luis Tomasello (Paris, le 11 juin 2011) sur les circonstances de la réalisation de cette suite à l'automne-hiver 1983 avec Julio Cortázar*
L'éditeur, Maximilien Guiol, avec lequel je travaillais pour des expositions, et qui s'intéressait aux livres, m'a dit : « Tomasello, j'aimerais faire un livre avec toi mais il faut que tu cherches un écrivain. » J'étais intéressé et je lui ai dit que je connaissais Cortázar et il m'a dit que s'il acceptait ce serait merveilleux. J'ai parlé à Julio Cortázar et il m'a dit qu'il serait enchanté de travailler avec moi. L'éditeur et moi-même avons pensé que ce serait bien de faire des sérigraphies. Il m'a précisé qu'il pensait que d'en faire 10 serait bien. Je ne voulais pas mélanger la couleur, le blanc, le noir mais préférais tout faire plutôt en noir. (Pour ne pas tout faire noir noir et pour varier un peu, j'ai fait un noir avec un peu de bleu, un noir avec un peu de vert et un noir avec un peu de violet comme je fais avec mes tableaux noirs.) Nous nous sommes mis d'accord et je devais réaliser une boîte comme un multiple en bois peint noir pour chaque exemplaire de cette édition.
Pourquoi « Negro el 10 » ? Quand il écrivait le texte, il n'y avait pas encore de titre et Julio Cortázar qui parle de la roulette que l'on joue en vivant… À la roulette, il y a deux couleurs et lorsqu'il apprend que quand c'est le 10 qui sort, c'est sur le noir, de là le titre.
Nous avons fait les sérigraphies et il devait faire le texte. Il a fait le poème, malade, avant de mourir. Je lui ai apporté des photographies des tableaux que nous allions réaliser en sérigraphies et un médecin lui a demandé alors qu'il était entouré de toutes ces photographies sur son lit : « Que faites vous avec toutes ces radiographies ? » Julio Cortázar lui a expliqué à quoi tout cela devait servir !
Quelques mois ont passés, Julio toujours très mal, malade, je lui rendais visite le matin tous les deux jours. Les boîtes étaient terminées, les sérigraphies aussi. Le temps a passé, il a fait le texte, tout était imprimé, il ne manquait que la signature. J'avais les 60 exemplaires dans le coffre de ma voiture et les jours ont continué à passer. Julio allait mal et il ne m'en parlait pas et un jour il m'a demandé si j'avais toujours les éditions à signer dans ma voiture. Je suis allé les chercher, il s'est assis et je lui ai donné peu à peu toute la quantité. Il en avait signé une vingtaine lorsque je lui ai dit : « On laisse ça pour demain. » Il m'a répondu : « No va a hacer que... » Il a continué à signer jusqu'à terminer les 60 exemplaires. Il est mort trois jours plus tard, le 12 février 1984.