Les bijoux de Luis Tomasello en collaboration avec Chus Burés

Une œuvre de Luis Tomasello se reconnaît dès l'abord. Elle est blanche, faite de reliefs, son format est carré, on y voit de la couleur ou plutôt le reflet de cette couleur, les formes y sont répétées. Une œuvre de Tomasello ne représente rien : elle montre ces éléments en relief et cette couleur diffusée de façon indirecte sur la surface blanche du tableau. C'est ce que l'artiste désigne du terme d' « atmosphère chromoplastique », c'est aussi l'art qu'il a mis en pratique depuis 1958, alors qu'il était établi depuis une année à Paris. Il venait d'Argentine et sa peinture, dans le style de celle de Gregorio Vardanega et de Tomás Maldonado, se trouvait alors dans la mouvance du groupe Arte Concreto - Invención actif à Buenos Aires depuis la fin des années 40. Mais ce sont surtout la période new-yorkaise de Mondrian et en particulier le tableau Broadway Boogie Woogie avec le mouvement de ses couleurs et le dynamisme de ses lignes, ainsi que la façon dont son disciple français Jean Gorin construisait ses reliefs à partir de plans colorés qui vont le marquer et lui indiquer la voie qu'il allait prendre et ne plus quitter.

Les tableaux de Tomasello présentent une très grande variété de reliefs et d'effets : ils sont pourtant obtenus à partir d'un répertoire extrêmement restreint de formes, de structures toutes identiques à base de grilles orthogonales et de modules répétés de façon régulière. Avide d'espace, Tomasello a voulu passer du tableau à l'architecture et a su appliquer ses idées à l'échelle monumentale. En 1975 il réalise pour un amphithéâtre, la Salle bleue, du Palais des Congrès édifié à la porte Maillot à Paris, un grand relief mural en staff sur les murs latéraux à partir des éléments de ses « objets plastiques », un cylindre coupé selon différents angles : de part et d'autre de la salle, les deux ensembles qui servent aussi à l'acoustique sont constitués de plans ovales blancs de grande dimension, de surface variée, qui réfléchissent différemment la lumière en fonction de leur inclinaison.

De l'infiniment grand, Tomasello est passé en 2010 à l'infiniment petit, en se consacrant à la création de bijoux qui ont été réalisés avec brio par Chus Burés, coutumier du travail avec les artistes dans ce domaine. À l'aide de son répertoire de formes, il traduit les mêmes idées à la proportion de la main, du cou, des oreilles, du corsage ou de la veste que ces objets doivent orner. On y trouve en tous points identiques l'utilisation du relief, la répétition des éléments modulaires, le recours à la couleur réfléchie, mais à l'échelle du bijou, pour le répertoire classique des colliers, bracelets, broches, pendentifs, bagues et boucles d'oreille.

 

 

Toutes ces pièces sont fondues en argent, la couleur étant apportée par l'or. Le collier par exemple est constitué de 7 cubes fixés par l'une de leurs arêtes sur un arc de cercle et qui sont évidés. La couleur à l'or est mise sur l'une des faces intérieures du cube, teintant les trois autres par son reflet. Ces mêmes cubes, à une autre échelle, avaient été exposés en 1972 comme sculpture au sol dans la galerie Denise René, ces éléments se retrouvant en 1974 dans la grille du collège Fantin-Latour à Grenoble dans une sorte de sculpture mobile. La broche est faite d'un cube en or posé sur la pointe placé au centre d'un cercle en relief inscrit dans un carré, le pendentif présentant la même disposition mais avec le carré inscrit dans le cercle. C'est le principe que Tomasello avait appliqué à un grand relief mural installé sur le mur pignon d'un immeuble de logements à Guadalajara au Mexique en 1971, lui-même inspiré par la composition du relief Atmosphère chromoplastique n° 178 de 1967. La même configuration a servi pour les boucles d'oreille et la bague. Le pendentif en forme de croix est différent : il est composé de dix modules carrés, qui dessinent la hampe et la traverse, décollés du support, qui est légèrement débordant. La couleur rouge appliquée sur la sous-face des carrés se diffuse sur le plan de la croix, comme dans les tableaux en relief identiques à Atmosphère chromoplastique n° 372 de 1975. Appliqués à l'échelle du bijou comme à celle de l'architecture, les éléments qui composent l'art de Tomasello se révèlent fonctionner et produisent chacun de leur côté leur propre effet.

Avec ces bijoux à l'exécution parfaite, Luis Tomasello rejoint la compagnie des artistes qui ont pris le soin de faire passer leur création dans cette forme d'art, où se retrouvent Jean Arp, Louise Nevelson, Pol Bury, François Morellet, Véra Molnar, Bernar Venet, Jesús Rafael Soto, George Rickey, Eduardo Chillida, pour rester dans cette famille appartenant à l'abstraction dont le maître incontesté dans ce domaine, le modèle de tous est Alexander Calder. Une belle lignée à laquelle participe aujourd'hui avec excellence Luis Tomasello.

Serge Lemoine
Professeur émérite à la Sorbonne, décembre 2010